Peste. Le mot évoque des visions de petits rats envahis de puces se faufilant pour s’a gripper aux humains qui ne se doutent de rien pour leur transmettre une bactérie mortelle nommée Yersinia pestis. Ou, peutêtre imaginez-vous un nuage de sauterelles, masquant la lumière du soleil en tentant de tout dévorer sur leur passage. Pourtant, il existe d’autres types de pestes, comme peuvent en témoigner tous les horticulteurs qui ont vu leur récolte dévastée par l’apparition soudaine d’un pathogène redoutable.

Les ennemis des plantes sont nombreux, des vers de terre aux insectes visibles à l’oeil nu en passant par les organismes monocellulaires microscopiques et les pathogènes non cellulaires uniquement visibles avec de puissants microscopes électroniques. Ces agents pathogènes horticoles ont beau être petits, leurs effets peuvent être désastreux, comme déformer les plantes, leur donner une vilaine teinte brunâtre, et provoquer des milliards de dollars de pertes économiques chaque année.

Bien que les insectes représentent une importante source de préoccupation pour les horticulteurs, ils diffèrent biologiquement des agents infectieux. Les insectes sont des animaux pluricellulaires qui démontrent une complexité et un comportement plus évolués que les pestes moins visibles. Les thrips, les mouches, les aphidiens et autres insectes ainsi que les acariens peuvent être repérés en inspectant minutieusement les plantes avant qu’ils ne provoquent des dommages considérables. Or, il existe d’autres espèces menaçantes plus insidieuses et qui demeurent invisibles jusqu’à ce que les dommages soient bien installés. Quelles sont ces menaces exactement? Il s’agit des bactéries, des champignons, des protistes et des virus.

Bactérie

La vie sur Terre se divise grossièrement en deux branches principales:

  • les Eucaryotes
  • les Procaryotes (voir le Tableau 1).

Les bactéries appartiennent aux procaryotes et plusieurs caractéristiques importantes les différencient des eucaryotes (qui regroupent les protistes, les champignons, les plantes, les animaux). Les cellules bactériennes sont plus petites, elles possèdent du matériel génétique libre (ADN) dans leurs cellules et leur structure interne est beaucoup plus simple.

On trouve des bactéries dans pratiquement tous les habitats inimaginables. Leur nombre imposant compense leur manque de complexité. Un seul gramme de terre peut abriter plus d’un milliard de bactéries individuelles et des milliers d’espèces différentes. Le nombre exact d’espèces de bactéries demeure inconnu, mais on peut en compter au moins des dizaines de milliers.

Pour ce qui est des plantes, la plupart des bactéries sont complètement inoffensives, certaines sont même bénéfiques. Dans le cas des légumineuses (membres de la famille des pois), des bactéries fixatrices d’azote prolifèrent dans les nodosités des racines et fournissent un apport en azote qui, autrement, ne serait pas disponible dans le sol.

Bien que les champignons et les virus sont des agents infectieux plus répandus chez les plantes, les bactéries provoquent, elles aussi, leur part de dommages. Les cultures saines sont habituellement assez résistantes aux attaques bactériennes, mais les plantes malades ou en mauvaise santé sont plus vulnérables. Les bactéries peuvent coloniser les plantes en se frayant un chemin dans les tissus blessés de la plante.

On peut confondre les symptômes d’infection bactérienne avec d’autres infections, surtout au début. Les symptômes typiques incluent la décoloration ou l’apparition de taches sur certaines parties de la plante. Lorsque la situation s’envenime, les tissus infectés perdent leur rigidité, ils peuvent s’amollir et noircir ou devenir suintants et gluants. La pourriture apicale, une maladie bactérienne qui attaque certaines espèces de plantes fruitières, provoque des lésions noires et molles sur le fruit, là où la fleur s’est formée. Rien de très joli.

En théorie, des traitements antibiotiques peuvent aider à contrôler les maladies bactériennes, mais en pratique, mieux vaut couper les parties infectées ou retirer la plante en entier et rester optimiste.

Figure 1:

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Plants and plagues
Feuille infectée par le champignon nommé “rouille”. Spores (cellules reproductives) de rouille vues au microscope électronique à balayage (MEB) à l’intérieur d’une galle sur une feuille de soya (max glycine). Une galle se forme lorsque les spores sont produites à l’intérieur de la feuille pour ensuite briser la surface et infecter les autres feuilles et plantes. La rouille est une maladie majeure dans les cultures de céréales et d’autres plantes commerciales, car elle restreint sévèrement la croissance de la plante et réduit les récoltes.

Champignon

Les champignons appartiennent au groupe des eucaryotes, comme les plantes, les protistes et les animaux. Comparés aux bactéries, les champignons possèdent une structure cellulaire et une organisation beaucoup plus complexes. Le royaume fongique est plutôt diversifié, il comprend les levures, les moisissures et les sporophores. Les champignons ont un mode de reproduction asexuée, ils produisent des masses importantes de spores par division cellulaire (mitose). Cependant, deux types sexués compatibles peuvent également se reproduire par fusion en effectuant une méiose pour produire des spores reproductives qui présenteront un mélange des traits dérivés de chacun des parents.

Les levures se forment en cellules uniques ou en petites agglomérations de cellules connectées. Les moisissures et les sporophores possèdent des cellules nommées hyphes. Les hyphes sont minces et cylindriques et poussent à partir des extrémités pour explorer l’environnement et chercher des nutriments. Même si les cellules fongiques individuelles sont microscopiques, les colonies de champignons sont souvent visibles sous la forme de mycélium, une masse importante d’hyphes.

Lorsque l’on renverse un morceau de bois moisi dans la forêt, l’on y découvre souvent des mèches duveteuses blanches de mycélium. La plupart des gens sont familiers avec les champignons-moisissures. Ceux-ci se développent sur la nourriture ou autres matières en décomposition. On identifie les moisissures par leurs spores asexuées et colorées apparaissant sur le mycélium en croissance. Les spores de moisissures peuvent avoir différentes teintes, notamment le brun, le noir, le vert, le bleu, le jaune, le mauve et même le rouge. La vaste majorité de champignons sont saprophytes, c’est-à-dire qu’ils obtiennent leurs nutriments à partir de matières organiques en décomposition. Tout comme les bactéries, les champignons jouent un rôle essentiel dans la nature en décomposant et en recyclant les matières organiques.

De plus, certains champignons sont bénéfiques pour les plantes, par exemple, la mycorhize, ce champignon qui entretient une relation symbiotique avec les racines de la plante. En fait, les champignons fournissent des nutriments minéraux à la plante alors que la plante fournit aux champignons les composés carbonés produits par photosynthèse. La plupart des plantes vivant sur Terre entretiennent ce type de dialogue bénéfique.

Malheureusement pour les animaux et les plantes, il existe des champignons parasites. Les infections fongiques sont particulièrement pénibles, vu la grande ressemblance des cellules fongiques aux cellules des autres eucaryotes (comme les plantes). Cette caractéristique complique l’élaboration de traitements visant à attaquer le champignon de manière sélective sans faire de mal à l’hôte. Malgré cela, bon nombre de recherches ont été consacrées à combattre les maladies fongiques des plantes, ce qui a mené à la découverte de diverses solutions pour enrayer la plupart des champignons les plus répandus.

Figure 2:

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Plants and plagues
Champignon racinaire. Coupe transversale d’une racine contenant des hyphes fongiques nommées mycorhize endotrophe. Les hyphes (vertes et bleues) se trouvent dans l’espace intercellulaire et à l’intérieur de certaines cellules. Les hyphes forment des filaments qui pénètrent dans le sol afin d’augmenter la capacité d’absorption des sels minéraux et de l’eau par les racines, un rôle que jouent normalement les poils radiculaires. En échange, la plante fournit des sucres et d’autres substances organiques au champignon, créant de ce fait une relation mutuellement bénéfique (symbiotique).

Comme les bactéries (et les virus), les champignons peuvent se frayer un chemin dans la plante hôte en passant par ses blessures. Ils peuvent aussi attaquer les plantes directement à l’aide d’hyphes spéciales qui réussissent à pénétrer les tissus en santé. Des milliers de maladies végétales sont causés par les champignons, notamment la rouille, le charbon, le dépérissement, la fonte des semis et des boutures, et la pourriture de la tige ou des fruits.

La première ligne de défense contre les champignons est l’utilisation de cultivars résistants aux maladies. Certaines sélections, parfois génétiquement modifiées, ont permis de créer des souches résistantes de plusieurs espèces de plantes économiquement importantes. Malgré tout, les souches résistantes ne sont pas toujours disponibles et la résistance n’est pas synonyme d’immunité. Les traitements préventifs à l’aide de produits fongicides sont chers, mais efficaces, toutefois on questionne le caractère écologique d’une telle pratique. Malgré tous les efforts fournis par les horticulteurs, les maladies fongiques persistent et des souches nouvelles ou inconnues de pathogènes fongiques apparaissent toujours.

Parmi les options de traitements pour les maladies fongiques, il est possible de couper les parties malades ou de retirer la plante infectée en entier. Les plantes abattues peuvent être brûlées ou placées dans un sac de plastique pour les jeter aux ordures. Il existe des traitements antifongiques naturels, dont les solutions de cuivre ou de soufre, ou le peroxyde d’hydrogène. L’efficacité de plusieurs “remèdes maison” comme l’ail ou le raifort est discutable (mais ils peuvent fonctionner dans certains cas). Si vous avez tenté de couper certaines parties infectées, d’enlever une plante infectée en entier, ou d’utiliser des méthodes de traitement biologique et qu’aucun n’a enrayé la maladie, sachez qu’il existe des fongicides commerciaux fabriqués spécialement pour lutter contre certains couples précis de plante-champignon. Cependant, il faut absolument respecter les directives du fabricant en appliquant des produits chimiques.

Plusieurs gestes peuvent être posés pour réduire les risques d’infections fongiques chez les plantes. Avec une bonne circulation d’air, un contrôle de l’humidité et des stratégies d’irrigation adéquates, vous mettrez toutes les chances de votre côté pour maintenir vos plantes en santé.

Protistes

Les protistes se distinguent des plantes et des champignons par leur capacité à se déplacer activement dans l’environnement en rampant ou en nageant à l’aide de leurs flagelles ou de leurs cils (poils fins qui agissent comme des rames miniatures). Cette catégorie regroupe les organismes encore communément appelés ”animaux monocellulaires” qui incluent les paramécies, les euglènes et plusieurs types d’amibes. Les protistes sont des créatures très étranges. Certaines espèces ont les mêmes caractéristiques que les plantes, les animaux ou les champignons à différents stades de leur cycle vital.

En ce qui concerne les maladies des plantes, les “protistes fongiformes” sont les plus préoccupants. Ceux-ci comprennent les espèces qui ont déjà été catégorisées comme des champignons, puisqu’elles poussent comme eux et leur ressemblent. Lors de la tristement célèbre Grande famine en Irlande (1845-49), le protiste Phytophthora infestansa anéanti les cultures de pommes de terre, une attaque généralisée et dévastatrice.autres protistes phytopathogènes incluent certains membres du genre pythium, responsables de la pourriture des racines, et des organismes comme le plasmoporaqui causent le mildiou.

Le contrôle de la température et de l’humidité autour des plantes aide à éloigner les protistes, mais il est impossible d’exercer un tel contrôle avec les cultures extérieures. Les dépérissements provoqués par le Phytophthorasont problématiques pour les pommes de terre, les tomates et les espèces reliées, toutefois divers cultivars démontrent une excellente résistance au dépérissement. L’assaut de la maladie est marqué par l’apparition de taches brunes sur les feuilles. Rapidement, l’infection peut entraîner la déformation, le flétrissement ou la putréfaction de la plante. Le meilleur traitement consiste à retirer immédiatement les individus infectés. La vaporisation des cultures vulnérables à l’aide d’une bouillie bordelaise (une solution de sulfate de cuivre et de chaux) aide à prévenir les infections. Le mildiou et le dépérissement provoqués par les protistes fongiformes peuvent aussi être traités avec de l’huile de margousier (neem), du peroxyde et des solutions à base de bicarbonate (bicarbonate de soude). De plus, les organismes de contrôle biologique, comme la bactérie Bacillus subtilis, peuvent s’avérer efficaces pour traiter les maladies causées par les champignons et les protistes fongiformes.

Table 1. Comparaison des eucaryotes, procaryotes et virus

  EUKARYOTES PROKARYOTES VIRUSES
Types d’organismes plantes, animaux, champignons, protistes bactérie, archée non cellulaire
Cellules grandes petites non
Matériel génétique molécules d’ADN linéaires dans le noyau ADN circulaire et libre dans la cellule petite quantité d’ADN ou d’ARN
Paroi cellulaire présente chez les plantes,
les champignons et les protistes fongiformes
présente non
Motilité (faculté de se mouvoir) les protistes et les animaux seulement certains non
Photosynthèse les plantes et certains protistes seulement certains non
Plusieurs organites par cellule oui moins non
Reproduction asexuée et sexuée principalement asexuée requiert une cellule

Virus

Pour plusieurs raisons, le virus est un peu comme l’organisme intrus. En fait, selon certaines personnes, les virus n’entrent pas dans la catégorie des organismes vivants. Toutefois, les recherches en biologie moléculaire semblent indiquer de plus en plus que les virus doivent être considérés comme “vivants”, d’un point de vue très fondamental. Contrairement aux agents pathogènes présentés jusqu’à maintenant, les virus n’ont pas de cellules. Ils ne bougent pas, ne possèdent pas de métabolisme et n’ont besoin d’aucune source de “nourriture” pour survivre. À l’extérieur de l’hôte, certains virus peuvent être cristallisés et conservés en pot sur une tablette, comme s’il s’agissait simplement d’un produit chimique purifié pour être utilisé en laboratoire. Si certaines conditions précises sont réunies, les virus peuvent participer à un élément particulièrement essentiel à la vie : la reproduction.

Un virus normal consiste en une couche de protéines ou une enveloppe externe qui emprisonne et protège une petite quantité de matériel génétique. Les virus possèdent juste assez de matériel génétique pour accomplir certaines fonctions de base. En fait, les virus sont des parasites qui ont besoin d’une cellule hôte pour se reproduire. Ils reposent sur leur capacité à s’approprier et à reprogrammer l’appareil moléculaire de leurs victimes cellulaires pour arriver à leurs fins.

Les virus représentent rarement un problème majeur chez les plantes en pleine nature, puisqu’elles se retrouvent avec plusieurs espèces différentes. Dans les systèmes de cultures, beaucoup de plantes de la même espèce sont placées très près les unes des autres. C’est la situation idéale pour un virus qui se trouve au bon endroit au bon moment. Les virus sont rarement mortels pour les plantes, mais ils peuvent réduire la productivité, provoquer des problèmes d’apparence et compromettre la valeur économique de la récolte. Les maladies virales chez la laitue, les tomates, les concombres et plusieurs autres plantes sont préoccupantes et se manifestent généralement par le jaunissement ou l’apparition de taches sur les feuilles et les tiges, le recourbement des feuilles ou le développement anormal des fruits.

Les virus peuvent pénétrer la plante en passant par ses blessures ou être transmis par les insectes, les nématodes ou les acariens. Le contrôle de ces organismes vecteurs représente une mesure préventive importante. Puisque les virus ne se basent sur aucune forme d’organisation cellulaire, contrairement aux autres agents pathogènes des plantes, peu d’options de traitements existent. Les produits chimiques ne fonctionnent tout simplement pas. Comme pour les autres, il faut retirer les plantes infectées du jardin. Puisque les traitements chimiques ne comportent pas une solution viable, beaucoup de travail a été fait afin de produire des cultivars résistants aux virus. Ceux-ci devraient toujours être privilégiés lorsqu’ils sont disponibles.

Le monde peut être cruel pour les plantes, et les humains n’ont pas amélioré leur situation en cultivant des plantes en monoculture, entassées dans des espaces restreints et au même endroit année après année. C’est le genre de situation idéale qui permet aux agents pathogènes persistants de prendre pied et de revenir sans cesse. En faisant une rotation des cultures, en offrant les meilleures conditions environnementales possible, en utilisant des cultivars résistants aux maladies et en appliquant des traitements chimiques, occasionnellement et lorsque nécessaire, il est possible de réussir ses cultures.