Il existe plusieurs types de plantes de jours courts, c’est-à-dire des plantes qui entament la floraison dès que les jours raccourcissent. C’est pour cette raison que les horticulteurs réduisent la photopériode de 18 heures à 12 heures par jour lorsqu’ils souhaitent que la plante passe en floraison. En fait, du point de vue de la plante, ce changement est plutôt décevant : six heures de lumière de moins par jour signifie six heures de photosynthèse de moins par jour, donc une baisse d’énergie sous forme de sucre pour la plante. Mais il existe aussi une substance pouvant amener la plante en floraison sans même réduire sa durée d’exposition à la lumière.

Que se passe-t-il vraiment lorsque les jours raccourcissent ou lorsque la photopériode est réduite à 12 heures par jour? Lorsqu’il y a 12 heures ou moins de lumière par jour, les feuilles commencent à emmagasiner une substance qui déclenche la floraison et qui est transportée dans toute la plante. Cette substance se nomme florigène ou hormone de floraison.

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Florigen, the flowering hormone
La gauche: Cultures de maïs. Droite: Collectes d’épinards
Les différents types de photopériodes:
Certaines des autres plantes de jours courts sont le maïs, le chrysanthème et la chicorée. Il existe aussi des plantes de jours longs et des plantes insensibles à la photopériode. Par exemple, l’épinard, la laitue et l’orge sont des plantes de jours longs, tandis que le tabac est une plante insensible à la photopériode.

L’appellation "plante de jours courts" n’est pas tout à fait juste. En fait, la plante ne décide pas d’entamer sa floraison parce que les jours sont plus courts, mais bien parce que les nuits sont plus longues. Cette différence peut sembler insignifiante, mais elle explique pourquoi une visite nocturne dans une pièce de culture retarde la floraison des plantes. En allumant la lumière, la plante croit que sa nuit est terminée et constate que la période est trop courte pour stimuler la floraison. Dès qu’on éteint la lumière, la plante doit recommencer son décompte des heures de noirceur depuis le début.

Julius et la découverte du florigène

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Florigen, the flowering hormone
Julius von Sachs

En 1865, un scientifique allemand, Julius von Sachs, a découvert qu’en transférant la sève d’une plante en floraison à une autre plante qui ne l’était pas, cette dernière s’est mise à produire des fleurs elle aussi. Ce phénomène est aussi survenu avec deux plantes d’espèces différentes. Malheureusement, malgré tous ses efforts, il n’est jamais parvenu à isoler la substance responsable de la floraison.

Un grand nombre de scientifiques ont aussi tenté en vain d’isoler le florigène après lui, ce qui rendait la chose d’autant plus mystérieuse. À un certain moment, en plus de s’interroger sur la substance, on allait même jusqu’à douter de son existence – du moins, jusqu’à récemment. Maintenant, un des plus grands mystères de la biologie végétale semble avoir été résolu.

On attribut à Julius von Sachs (photo) d’autres découvertes majeures en plus de l’existence du florigène. Il a notamment découvert l’existence des chloroplastes (droite) et le fait qu’ils produisent des sucres. Il a aussi découvert que le glucose s’emmagasine sous forme de grains d’amidon. En d’autres mots, le mystère du florigène était aussi vieux que les connaissances fondamentales de la biologie végétale.

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Florigen, the flowering hormone
Chloroplastes

L’autoroute de l’information

Durant la quête au florigène, il est devenu apparent que la sève circulant dans le liber (vaisseaux) de la plante contenait davantage que l’eau et les sucres produits par la photosynthèse des feuilles. En fait, plusieurs substances sémiochimiques (substances qui envoient des signaux à la plante) sont dissoutes dans la sève élaborée. Il s’agit pour la plupart de petites molécules en très faible concentration. Le liber transporte l’information d’un endroit à l’autre dans la plante à l’aide de ces substances, notamment le signal de floraison. C’est pourquoi le liber est connu comme étant "l’autoroute de l’information" de la plante.

En réalité, après la découverte du florigène, quelques années se sont écoulées avant que l’on réussisse à comprendre son fonctionnement, une découverte encore très récente. Peut-être vous demandez-vous pourquoi la découverte du florigène a été aussi lente? Voici l’explication : lorsque la durée de la nuit dépasse une certaine limite, les feuilles émettent un signal pour commencer à produire des florigènes. Ce signal, produit uniquement dans les bourgeons apicaux de la plante, entre en réaction avec une autre substance présente dans la plante lorsque celle-ci atteint les cellules des bourgeons apicaux. Le vrai florigène est en fait la combinaison de ces deux substances.

De plus, ces substances sont de minuscules molécules qui n’ont pu être découvertes qu’au cours des dernières années, car, jusquelà, les équipements de laboratoire n’étaient tout simplement pas assez perfectionnés.

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Florigen, the flowering hormone
Coupe transversale d’une tige Le liber (rouge) est le tissu vasculaire vivant de la plante et qui transporte surtout les sucres et l’eau du haut vers le bas. En plus du liber, il y aussi le xylème (rose), un tissu mort qui transporte les nutriments et l’eau à partir des racines.

L’avenir nous sourit-il?

Après plus de 140 ans, la quête au florigène s’est finalement achevée. Un grand mystère est résolu. C’est bien pour la science, mais qu’est-ce que cela signifie pour les gens en général? La réponse est simple : beaucoup de choses! La manipulation du florigène présente un potentiel énorme. Sa découverte engendrera une révolution, surtout pour l’agriculture conventionnelle. L’horticulture en serre pourra augmenter ses récoltes avec une plus longue photopériode. Les scientifiques entrevoient la possibilité de cultiver certaines plantes dans des endroits où c’était impossible auparavant, par exemple, des plantes tropicales dans le nord de l’Europe. Mais bien des changements pourraient aussi survenir dans les régions tropicales. La réduction de la durée de culture signifie qu’un plus grand nombre de cultures qu’avant pourraient être entreprises durant une même saison.

En plus de cet effet immédiat sur la production d’aliments, on peut s’attendre à une révolution pour les compagnies de semences. Par exemple, les arbres fruitiers pourraient être amenés en floraison dès la première année et donc être croisés entre eux en quelques mois seulement, au lieu des quelques années que les sélectionneurs passent à attendre les premières fleurs. Pour les amateurs, l’avantage de l’application de florigènes représentera évidemment une récolte plus abondante.

Cependant, ne nous emportons pas. Plusieurs années s’écouleront avant que l’on puisse faire un usage pratique du florigène. Une chose est certaine, sa découverte changera l’agriculture et la sélection de plantes à tout jamais.

De la technologie à la famine

Pourquoi y a-t-il un point d’interrogation après "l’avenir vous sourit-il"? En fait, c’est parce que le florigène ne peut pas être tout simplement ajouté à la plante. Les entreprises en biotechnologie devront fournir des cultures avec les informations nécessaires pour rendre le florigène indépendant de la photopériode, et ce, à l’aide de modifications génétiques. Puisque ces gènes seront d’abord intégrés à une ou deux variétés de cultures, ces quelques variétés chasseront rapidement les autres variétés locales (érosion génétique).

Ceci posera un problème particulièrement dans les pays en développement où l’agriculture n’est plus optimale et où ces nouvelles cultures pourraient améliorer grandement la production d’aliments. Au début, ces monocultures à très grande échelle de quelques variétés offriront un rendement très élevé, mais, à long terme, ces cultures subiront de graves problèmes de maladies. Alors, qu’allez-vous manger lorsque les cultures d’aliments disparaîtront? C’est le prochain défi!

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